Devil's Punch Bowl Park, Californie, 06h42 du matin.

Nadja reprenait progressivement conscience. D'abord, elle récupéra l'audition puis un sens limité du toucher et de l'équilibre, sentant qu'elle était trimbalée sur une moto. Étant donné le son fait par le moteur et la suspension, il s'agissait d'un véhicule qu'elle connaissait très bien : celui de Caitlyn, une Harley 1584 Dyna Wide Glide plutôt bien entretenue. Lorsqu'elle commença à être de nouveau capable de réfléchir, la métisse réalisa soudainement qu'elle était attachée... Ou du moins, ses poignets étaient attachés autour de la taille de sa kidnappeuse, probablement pour ne pas tomber pendant le trajet. La scientifique se mit alors à se poser moult questions... D'abord, trajet vers où ? Ensuite, depuis combien de temps roulaient-elles ? Pourquoi diable la séduisante motarde l'aurait-elle assommée puis amenée vers une destination inconnue ? Probablement pas pour faire une surprise, en tout cas... Cette histoire ne sentait pas, mais alors pas bon du tout, et l'esprit de Nadja était noyé dans l'appréhension.

Elle ne pouvait pour le moment pas bouger en tout cas, et n'avait donc pas d'autre choix que de suivre le mouvement. La fraîcheur nocturne et l'odeur "pure" laissait penser à la chercheuse qu'elle était dans la nature, loin de la ville. Il n'y avait pas de chaos ambiant, pas de moteurs de voiture, de discussions de passants, de bruits de sirènes de police, ni rien de ce genre. La même question revint : où diable Cait' allait-elle amener son amante ? Mais rapidement, une autre question écrasa tout le reste : et le projet ? Le générateur ? Si Nadja se faisait tuer, elle ne pourrait pas révéler à son équipe quels réglages et ajustements elle avait faits...

Encore et toujours, cette obsession maladive pour son "grand projet" revenait. Pour l'instant, elle ne s'inquiétait pas de sa sécurité, elle s'inquiétait de savoir si oui ou non elle pourrait répandre sur toute la planète son invention. Elle avait passé plus de trois ans et perdu un bras en tentant de créer cette machine de génie... Ce n'était pas pour se faire enlever et assassiner par une folle, ou dieu savait quoi d'autre.
Ses pensées furent interrompues alors que la moto s'arrêta. Nadja réalisa qu'on la déplaçait... Puis se sentit tomber par terre, comme si elle avait été jetée au sol. Pas très agréable, comme moyen de transport. Elle avait été habituée à bien plus de douceur de la part de la bikeuse, autant le dire. L'esprit de la métisse s'égara d'ailleurs l'espace de quelques secondes, repensant à leurs derniers ébats qui avaient été particulièrement intéressants... Une histoire de positionnement astucieux.

Mais l'heure n'était en tout cas pas à ça. Même si c'était certainement une possibilité agréable, il était fort peu probable que Caitlyn l'ait assommée pour l'amener dans un endroit discret où s'envoyer en l'air. Peut-être faisait-elle partie d'un gang de 1% ? C'était possible, mais d'un autre côté, que feraient des 1% d'une chercheuse en physique nucléaire...? Ils faisaient en général du trafic de drogues, d'armes et ce genre de conneries, ils ne faisaient pas dans l'espionnage industriel, quoi... De toutes façons, elle aurait bientôt la réponse à sa question, vu qu'elle retrouva le contrôle de son corps, l'effet du coup violent qu'elle avait reçu s'estompant.

La première chose que fit Nadja fut d'ouvrir les yeux, puis de les frotter maladroitement, avant de redresser la tête... Et la vision qui s'imposa à elle fut... surprenante pour ne pas dire autre chose. Face à elle se tenait une femme qui semblait immense, irradiant d'une présence pour le moins surréaliste, impossible même. Ce n'était pas juste une question de charisme, il y avait véritablement une aura écrasante qui s'échappait de cette demoiselle tatouée et aux cheveux roses.
Tournant la tête avec de grandes difficultés, à cause du mal de crâne d'une part et du fait qu'il était difficile de ne pas fixer cette hypnotisante femme d'autre part, elle aperçut alors Caitlyn qui se tenait à côté d'elle. L'insolence naturelle de Nadja ainsi que l'incompréhension de cette situation lui firent d'un coup prononcer quelques mots qui trahirent sa confusion :

- C'est qui, c'te punk là ?

La scientifique se redressa alors, restant toutefois assise au sol, et observa tour à tour les deux présentes, affichant un air... Non pas apeuré, mais blasé. Elle finit par parler, tout en passant une main dans ses cheveux blonds, roses et rouges.

- P't'ain... Qu'est-ce-que vous allez m'faire, là...? Je suis un rat de labo... J'ai pas de pognon...

Ce n'était pas tout à fait vrai, elle en avait du pognon, pas mal même. Directrice de recherches dans le privé ça peut très bien payer... Mais elle n'était pas millionnaire non plus. De toutes façons, elle était loin de se douter que la raison de sa présence n'avait rien à voir avec quoi que ce soit de matériel...

La situation était encore assez floue... Nadja reprenait à peine ses esprits. Elle observa plus attentivement la femme qui était face à elle, cette étrange créature qui paraissait immense. Quelque chose semblait l'amuser, et la métisse ne comprenait pas ce qu'elle pouvait avoir dit de si drôle que ça... Et étonnamment, elle se révéla être parfaitement cordiale, s'installant à une table qui avait été placée là... Là, où au juste ? Car la jeune scientifique ignorait totalement où elle se trouvait. Il y avait un hangar, perdu au milieu de nulle part... Et il y avait des motos. Ce fut alors que Nad' repensa à celle qui l'avait amenée ici... Caitlyn.

La chercheuse fronça les sourcils, se redressant rapidement et tournant la tête vers la bikeuse qui l'avait assommée puis kidnappée. Son poing droit se serra, les muscles de carbone se serrant dans un léger son de frottement.... Quel dommage, qu'elle n'ait pas eu le temps de terminer ses recherches sur les générateurs au Deutérium. Avec un de ces machins elle aurait sûrement pu multiplier la force déployée par ce genre d'implants par six ou sept... Mais vu la situation dans laquelle elle se trouvait, il était assez improbable qu'elle ait un jour l'occasion de faire de telles améliorations. De toutes façons, même dans l'éventualité où elle aurait eu une force supérieure à la normale, elle n'aurait pas été à son avantage.

Cette femme aux cheveux roses était... imposante, il n'y avait aucun autre terme. Elle n'inspirait pas la terreur, ni le respect, ni la curiosité, ni la méfiance, ni l'admiration, mais un mélange très étrange de tout ça à la fois. Nadja ne savait absolument pas face à quoi elle se trouvait, mais elle savait pertinemment que l'usage de la violence ne serait pas du tout en sa faveur... Sans compter le fait qu'elle ne s'était jamais vraiment battue. Alors seule contre une kidnappeuse et une sorte de créature surnaturelle ? Non, ses chances de survie étaient limitées et la chercheuse n'avait aucune intention d'y passer. Elle avait encore beaucoup trop de choses à découvrir et à comprendre.

Elle s'assit donc, dans de gestes lents, l'air méfiante, un peu comme un chat qui s'approcherait lentement d'une friandise tout en s'assurant qu'aucun prédateur n'est à l'affût. La métisse ne parvenait pas à détacher son regard de celle qui se trouvait être une déesse... Et pour lui répondre, elle fut faire un certain effort de volonté.

- Peut-être... Mais ça ne me dit pas ce que vous me voulez... répondit-elle avec un ton prudent. Je ne pense pas que vous vous soyez donné le mal de me manipuler par l'intermédiaire d'une amante faisant semblant pendant plusieurs mois, juste pour faire mon éloge...

Ohhh, quand elle évoqua le fait de s'être faite manipuler par une fausse amante, elle eutl'air particulièrement énervée. Cette histoire ne lui plaisait absolument pas, mais pas du tout. Et aussi hypnotisante soit cette étrange motarde aux cheveux roses, Nadja voulait savoir ce qu'il en était.

Que Caitlyn n'ait pas fait semblant... La métisse avait bien du mal à y croire, et c'était très visible sur son visage. Elle avait encore une douleur aiguë au crâne à cause du coup reçu, et se contenta donc de jeter un regard extrêmement méfiant, assez hostile, à la motarde qui l'avait amenée ici.

- Tu parles... marmonna-t-elle.

Mais lorsque la déesse évoqua la magie, Nadja revint alors à la réalité, observant alors l'incompréhensible créature qui venait d'apparaître... Cette dernière sembla décider de s'extraire du décolleté de cette imposants interlocutrice (et la scientifique ne put s'empêcher de regretter de ne pas être à la place de l'infernal, pendant une fraction de seconde) pour aller ensuite s'asseoir tranquillement sur la table.

La chercheuse ne put s'empêcher d'avoir un mouvement de recul, et de froncer les sourcils non pas dans une mine agressive, mais plutôt d'incompréhension. Elle n'avait jamais vu quelque chose de tel, et quelque chose lui disait qu'elle risquait fort d'encore voir beaucoup de choses qu'elle n'avait jamais vues auparavant... Cette aura surnaturelle de la femme aux cheveux roses, cette créature anormale, tous ces éléments ne semblaient être qu'un début.

Nadja ne fut en tout cas pas très émue, quand la déesse parla de faire revenir son bras. Elle s'en foutait, de son bras, totalement. Pour le moment elle avait une occupation nettement plus intéressante... Des nouveautés qui l'attiraient de façon presque magnétique, quasiment incontrôlable, qui l'avaient totalement hameçonnée. La magie serait ce qui la rend aussi écrasante de présence... La métisse avait une autre vision des choses qu'elle ne put s'empêcher de partager. L'attitude relativement amicale de son interlocutrice la rendait plutôt coopérative.

- Si je crois à la magie... D'une certaine façon. Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie... C'est là qu'il y a deux catégories de personnes. Un faible d'esprit voyant quelque chose qu'il ne comprend pas y verra de la magie, ou dieu, ou je ne sais quoi d'autre qui ne repose sur rien de solide et de logique. Un scientifique, lui, sera prêt à passer sa vie à chercher la nature de ce qu'il a vu, et n'aura de cesse de rendre cette nouveauté accessible à toute l'espèce humaine. Là où l'idiot voir de la magie, je vois un moyen d'enrichir toute l'humanité par de nouveaux savoirs. La magie, ce n'est que de la science qu'on ne comprend pas encore...

Elle aurait pu se mettre à faire la maline, et lui dire de ranger sa magie parce que ce qui l'intéressait, c'était avant tout des faits, mais... Encore une fois, cette sorte de présence surnaturelle la rendait plus... avenante. Elle finit donc par répondre :

- Je suis en tout cas intéressée, oui... Comment ne pas l'être ? demanda-t-elle alors, même si sa question était totalement rhétorique.

Nadja n'aimait pas cette idée selon laquelle la magie était donnée de manière aléatoire, que certains l'avaient et pas d'autres. C'était pour ça qu'elle aimait la technologie et la science... La seule chose qui empêcherait à tout le monde de s'en servir, ce serait des dictateurs, ou des humains idiots qui pouvaient très bien être renversés. Au final, la science était pour tous et toutes sans aucune exception, mettant l'humanité entière à égalité. Il n'y avait pas de question de "destin", ou de "choisis". Tout le monde peut, avec un apprentissage convenable, utiliser une voiture, un ordinateur, ou n'importe quel outil technique. Le seul obstacle c'est la volonté d'apprendre, rien d'autre.

Elle comptait donc bien étudier ces histoires de magie si l'occasion lui était donnée... Ce n'était pas qu'elle ne croyait pas la déesse, mais elle avait besoin de faire tout ce qu'elle pouvait pour comprendre. C'était son mode de fonctionnement. 
Shanae déclara en tout cas ne pas être friande de grands débats, ayant une certaine tendance à les expédier, vu sa nature cruelle et autoritaire. Autant dire que ces propos surprirent un peu la métisse qui haussa un sourcil.

- Vous ne m'avez pourtant pas l'air cruelle au premier abord, et c'est un compliment... Quant aux débats c'est dommage. Ils apprennent beaucoup à ceux qui y vont avec une authentique volonté d'apprendre, je trouve.

Le discours de la femme surnaturelle changea pourtant, d'un coup. Elle se mit à parler de religions, de panthéons, pour la plupart des panthéons du passé d'ailleurs. Nad' les connaissait, elle les avait étudiés en histoire, puis avait aussi lu quelques articles ou bouquins à leur sujet par simple curiosité... Mais elle n'était effectivement pas vraiment religieuse, elle se moquait donc éperdument du fait que l'on critique un dieu X ou Y. Le fait qu'elle parle de Yahvé comme une créature gélatineuse qui écrasait les autres cultes était pourtant assez peu surprenant...

- Je ne m'intéresse aux religions que d'un point de vue culturel, et non spirituel... Mais je dois avouer que les religions monothéistes ayant pour base les concepts de confession, pêché et enfer ont beaucoup écrasé les autres. J'avais lu des stats intéressantes y'a quelques mois... Les chrétiens seraient premiers suivis des musulmans, à eux deux ils font autour de 50% des religieux mondiaux. Et en troisième place les non-croyants qui veulent juste qu'on leur foute la paix...

Nadja sortit de ses pensées et observa Shanae avec curiosité, vu qu'elle avait parlé du panthéon Celtique. Cela lui semblait assez curieux, car elle n'avait pas vraiment l'air d'une druidesse ou quelque chose de ce type.

- Le concept de souffrance est présent dans pas mal de religions... Même le bouddhisme qui est pourtant assez spécial dans son genre. J'aime bien le shintoïsme, moi, mais ça doit venir de ma mère... Enfin, vous dites que "Yahvé" serait une sorte de dieu mangeur de dieux, et qu'il a tout bouffé sauf les dieux celtiques ? Désolée du cliché, mais vous ressemblez pas à une déesse celtique. J'imaginais, je sais pas... Un truc de la nature, qu'en sais-je... Vous avez plutôt l'allure d'une sorte de punk surnaturelle. Je ne dis pas que ça me déplaît, comme en témoigne ma relation suivie avec Caitlyn, mais c'est... un peu déroutant. finit-elle par dire avec une mine assez inquiète.

A la saint Barthélémy ? Hé bien... La déesse ne plaisantait pas, manifestement. Après, restait à savoir si elle frimait et racontait des salades pour faire peur à l'humaine, ou si c'était effectivement vrai. L'humaine prit le parti de la croire, car il était assez rare que l'on prenne ce massacre-là comme référence. Si l'étrange créature surnaturelle avait voulu mentir, elle aurait sûrement pris quelque chose de plus commun et connu de l'américain moyen, genre les sorcières de Salem ou quelque chose du genre. Quoique... Maintenant qu'elle connaissait l'existence de cette déesse celtique, Nadja se demanda si ce stupide épisode de l'histoire humaine n'avait pas été un symptôme de cette guerre séculaire entre elle et ce dieu unique...

Elle enchaîna en tout cas, donnant plus d'explications sur celui qu'elle nommait le "dévoreur". Elle parla par contre ensuite d'Avalon, mais là... Bien entendu, la scientifique connaissait le lieu mythologique des légendes Arthuriennes, mais elle aurait apprécié plus de précisions à ce sujet. Depuis qu'Avalon a rouvert ses portes ? Elle serait considérée comme morte par les siens ? Quels siens ? Les autres dieux Celtiques ? Et ils vivaient en Avalon ? Mais les portes d'Avalon étaient fermées ? Quand se sont-elles rouvertes ? Autant dire que ce n'était pas parfaitement clair.

Ces questions lui sortirent en tout cas assez vite de l'esprit quand la déesse aux cheveux roses décida de faire une démonstration, et demanda à Caitlyn de "prendre sa forme". Quand Nad' se retourna, elle aperçut une créature aussi belle que terrifiante, ce qui quelque part la rendait encore plus terrifiante...

- Comment ça "prendre sa formWHOPUTAIN !! s'exclama-t-elle en apercevant son ancienne amante dans cet état bien particulier.

Elle avait même sursauté, renversant sa chaise, avant d'ensuite reculer de plusieurs pas par précaution. C'était un instinct humain qui se réveillait : elle détectait un prédateur. Ces yeux rouges, cette allure fantomatique, son cerveau lui hurlait qu'il y avait un danger... Et la scientifique ne comptait pas le contredire, elle suivit donc Shanae sans rechigner, mais sans jamais quitter la banshee des yeux. A aucun instant elle ne la laissa sortir de son champ de vision, l'air tendue, marchant à reculons, semblant prête à réagir d'un coup.

Et ce qu'il se passa dehors ne la rassura pas spécialement. Alors que son regard ambré était encore bloqué sur Caitlyn, elle s'aperçut d'un coup que quelque chose n'allait pas... La déesse avait prononcé quelques mots dans une langue inconnue, et subitement, les ombres s'étaient animées. A peine eut-elle le temps de se retourner, pour apercevoir un spectacle des plus dérangeants, que le silence retomba d'un seul coup.

L'apparition soudaine de ce dragon noir la fit sursauter de nouveau, assez violemment, et la métisse se mit à reculer à grands pas, son bras artificiel en avant, comme pour se défendre. Elle savait pertinemment que la force des deux bras était la même, mais cette décision de tendre CE bras-là et pas un autre était tout à fait pertinente : elle n'aurait pas mal, si elle s'en servait pour parer un coup. Même si dans un sens... Parer un coup de cette créature immense serait sûrement assez inutile.

En l'espace d'une seconde, une quinzaine de plans d'armes et de défenses permettant d'abattre ce genre de bestioles lui passèrent par la tête. Faisceau de radiations utilisant sa dernière invention qu'elle venait à peine de réussir à faire fonctionner, railguns surchargés, plaques de métaux et de céramiques composites... La pauvre était, encore une fois, loin de se douter que malgré la puissance de cet armement -qui n'existait pas encore- celui-ci ne serait pas du tout suffisant. Très, très loin de là.

Et même en imaginant qu'une de ces armes puisse blesser la déesse, elle n'avait de toutes manières pas les matériaux nécessaires pour produire quoi que ce soit en un temps record. C'était une bizarrerie de la manière dont fonctionnait Nadja. Terrifiée, elle pouvait encore imaginer des trucs scientifiques délirants ayant 15 ans d'avance technique, mais elle ne pouvait pourtant pas réfléchir de manière socialement logique. Shanae avait dit qu'elle voulait travailler avec elle, mais malgré cela, à cet instant, la jeune scientifique faisait courir son regard de droite à gauche pour chercher un échappatoire, étant persuadée qu'elle serait morte dans quelques secondes si elle ne se planquait pas rapidement.